Fiction Augmentée – Les chuchoteurs

Après la technologie, nous allons parler cette fois-ci de dictature. Sur ce thème, je vous présente un livre d’une richesse impressionnante: « Les Chuchoteurs » d’Orlando Figes (volume 1). L’auteur nous y expose, en détails, la vie quotidienne des russes durant la période 1917-1938. Au travers de centaines de témoignages de nombreuses familles, il met a nu la réalité de la dictature communiste et fournit au passage une galerie impressionnante de personnages et de drames familiaux tous plus incroyables les uns que les autres. Bien que centré sur le cas russe, ce livre ne manquera pas de vous inspirer pour tout « contexte dictatorial », avec des jeux comme Rétrofutur, World War Cthulhu, Polaris, … et bien d’autres.

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Nous avons sûrement tous(tes) notre petite idée sur la façon dont fonctionne une dictature. Mais en ce qui me concerne, je peux vous assurer que j’étais loin du compte. J’ai réalisé à la lecture de ce livre à quel point le régime communiste a pendant des décennies mené un assaut massif et systématique contre la société russe. Il a voulu détruire tout ce qui faisait la société d’avant 1917 et a tenté d’y substituer l’idéal communiste, celui du « combattant communiste révolutionnaire totalement libéré des poisons de classe de l’idéologie bourgeoise ».

Dans cette optique, le régime a tenté de balayer tout obstacle a une adhésion complète aux buts du parti. Pour diviser les familles, il a tenté de fragiliser le couple (notamment par la facilitation du divorce) et de saper l’autorité des parents en incitant les enfants à dénoncer tous leurs écarts de conduite. Il a soustrait le plus possible ces enfants à l’éducation de leur famille, en assurant un endoctrinement par l’école, les Pionniers (pour les plus jeunes) et le Komsomol (les jeunesses communistes). Les religions ont aussi été prises pour cible (spoliation des biens, interdiction de pratique des cultes …). Presque toutes les formes de propriété privée ont été proscrites (exploitations agricoles, petits commerces, logements …), tout a été collectivisé ou poussé à disparaître. L’économie de marché a été remplacée par une économie régulée par les plans quinquennaux, avec en ligne de mire: devenir la société industrielle la plus avancée du monde. Les médias ont eux aussi été sommés de participer à l’effort national, d’exalter les populations, de finir de remporter l’adhésion de la population. Le parti s’est appuyé sur des modèles (l’enfant modèle, l’ouvrier modèle …) et quelques grandes réalisations (les grands barrages, le métro de Moscou, le canal de la Mer Blanche …) pour faire rêver les gens et les maintenir dans l’espoir que l’utopie communiste était toute proche, presque à portée de main. Et pour tous les réfractaires, une police omniprésente s’est chargée de les réduire au silence (exil, déportation au Goulag, assassinat, tout y est passé). D’innombrables réformes ont été menées tambour battant dans le but de réformer la société russe en profondeur et de ni plus ni moins changer la nature humaine.

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Des millions de russes, surtout les jeunes, ont eu foi en ce « projet », ont essayé d’y contribuer en devenant l’activiste et le prolétaire dure à la tache que le parti attendait d’eux. Ils ont essayé de changer, de devenir « meilleur » (d’après l’auteur, le « travail sur soi » était très répandu chez les bolchéviks). D’autres ont tenter de résister, de garder leur individualité, leurs traditions, leur religion et n’ont suivi le parti qu’à reculons. Mais tous ont appris à ne pas trop se confronter à leurs doutes et surtout à ne pas les exprimer, à cacher leur vie intérieure ou leurs origines (pour les nobles et les kulaks, ces paysans bourgeois « ennemis du peuple »).

Le livre montre bien l’aspect chaotique du régime communiste qui, de nombreuses fois, a dû faire machine arrière devant l’inefficacité de ses politiques (la nouvelle politique économique a provoqué famines et marché noir, la politique vis à vis du mariage a entrainé une chute des naissances …etc). Il montre un régime qui a fait le choix d’une violence de plus en plus grande au fur et à mesure qu’il échouait à atteindre son but, un régime qui a choisi d’exclure des millions de gens du rêve communiste, a choisi d’utiliser les goulags (camp de travail russe) comme une source de main-d’œuvre gratuite, jetable, pour exploiter des territoires où personne ne voulait aller.

La propagande des dictatures continue de fonctionner bien longtemps après leur disparition, de sorte qu’on les voit souvent comme des machines implacables à qui personne n’a résisté. Figes nous montre bien que la machine communiste n’a jamais fonctionné correctement, générant elle-même problèmes et solutions, faisant monter les tensions et la violence de manière auto-entretenue, jusqu’à la rupture. Staline et ses sbires se sont fourvoyés dès le départ dans une politique qui ne pouvait pas aboutir et qu’ils ont choisi de maintenir au prix de millions de vies humaines.

« Les Chuchoteurs » n’est pas une lecture légère, malgré la capacité de l’auteur a rester neutre et factuel. Je me suis surpris à prendre naturellement de la distance par la fiction pour en alléger un peu l’intensité. Remarquez, je n’ai pas vraiment eu à me forcer pour aller vers la fiction, tant on croirait certains passages tout droit sortis de films. Pour vous en convaincre, j’ai sélectionné une histoire parmi les témoignages ahurissants que contient ce livre (voir fichier PDF ci-dessous). Elle pourra vous servir d’historique pour un personnage (PJ ou PNJ) ou de base pour un scénario.

PDF: L’histoire de la famille Okorokov

One thought on “Fiction Augmentée – Les chuchoteurs

  1. Notre démocratie avec son utilisation de l’internement psychiatrique contre les dissidents, son anathème, ses médias corrompus, son système éducatif qui vole aux parents leur rôle éducatif, le lavage de cerveau constant sur le progressisme sans fin, ses politiciens corrompus et tous membres de réseaux mafieux ; est beaucoup plus efficace que n’importe quelle dictature.
    Le stalinisme est un petit joueur à côté de la dictature invisible que nous subissons et qui se nomme démocratie. Mais encore faut-il choisir la bonne pilule.

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