Fiction Augmentée – Le Jazz et les Gangsters

L’année 2016 commence en fanfare pour « Fiction Augmentée » par un article sur le Jazz!

Vous avez sûrement déjà utilisé le Jazz comme bande son lors de vos parties, pour marquer une époque ou pour, par exemple, installer une ambiance posée dans un lieu raffiné. Au-delà du simple fond sonore, l’intérêt ludique du Jazz réside aussi dans son aspect social. Dans les années vingt/trente, le monde du Jazz voit se côtoyer des populations d’origines sociales et ethniques très différentes. Se croisent musiciens noirs sans le sou et riches hommes d’affaires blancs, membres de la mafia et hommes politiques. Cette diversité de fréquentations fait du club de Jazz le lieu idéal pour vos scenarii « années folles ». Enquête ou action, il pourrait bien devenir le passage incontournable de vos parties!

King Oliver
King Oliver

Dans son « Le Jazz et les gangsters », le sociologue américain Ronald L. Morris nous décrit le monde du Jazz à travers la relation entre les musiciens noirs et les mafieux italiens et juifs. Cette ouvrage est très intéressant et abordable, puisque destiné au grand public, les amateurs éclairés de sociologie trouveront cependant que l’auteur manque peut-être de rigueur. En effet, celui-ci est très nettement nostalgique de cette période de l’âge d’or du jazz et présente presque les gangsters comme de brave gars, tant ils ont contribué à réunir les conditions nécessaires à l’épanouissement du Jazz et de ses musiciens.

Selon l’auteur, l’Amérique d’avant le Jazz est un désert culturel dans lequel le musicien n’a aucun statut (hors musique classique). Souvent tenus par des irlandais, la vie nocturne se résume à des saloons aux utilités multiples: fumerie, salle de jeux, dortoir, bordel … Ces lieux sont sales et la violence y est omniprésente. Les noms de ces « établissements » nous laisse d’ailleurs imaginer l’ambiance: The Rat Pitt, The Hole in the Wall, The Graveyard, The Bucket of Blood, The Morgue, McGurck’s Suicide Hall … (en partie ça devrait donner ça, MJ: « vous entrez dans un saloon nommé: Le Cimetière », Pjs: « Je dégaine! »). Les populations noires ont leur propres saloons (ou « juke joints »), tellement violents eux aussi que les musiciens y jouent derrière des grillages!

Louis Armstrong
Louis Armstrong

Le Jazz, véritable réponse des communautés noires face à l’adversité, éclot d’abord dans une Nouvelle-Orléans sinistrée par la guerre de sécession et les crises économiques. Dans cette ville très cosmopolite se mélangent alors les communautés européennes, noires et juives. Elles vivent dans des conditions déplorables, et tentent de survivre de petits boulots et d’activités illégales. Malgré les obstacles dressés par la société «blanche », par les banques (pas de possibilité de prêts), les taxes, la police (accusation d’atteintes aux moeurs) et même les syndicats de musiciens (boycott du Jazz), les diverses mafias se développent jusqu’à contrôler le jeu, la prostitution et les spectacles (dont le Jazz). Storyville, quartier français et haut lieu de la vie nocturne, devient LE quartier où l’on s’amuse. Les autorités finissent cependant par faire le ménage et Storyville est fermé en 1917; mafias et musiciens sont chassés vers les grandes villes du nord comme New-York et Chicago.

En quelques années, le Jazz, musique urbaine et subversive, devient la musique la plus populaire. Contribuant grandement à sa notoriété, les mafias italiennes et juives ouvrent quantité de clubs (ils tiennent 90% des clubs des grandes villes de l’Est dès 1918). Ceux -ci, contrairement aux saloons, sont mixtes (homme/femme) et ouverts à différentes communautés. Les gangsters soignent la décoration (Art déco ou ethnique) et améliorent la sécurité pour ne pas avoir de problème avec la police (à la fois dans les clubs et aux alentours). Tout est fait pour que l’on y dépense sans compter, l’ambiance est fiévreuse et musiciens et danseurs sont constamment poussés à se dépasser et à innover pour que la fête soit toujours plus belle et plus folle.

Fletcher Henderson
Fletcher Henderson

Dans son livre, Morris donne beaucoup de détails qui vous permettront de donner vie à vos propres clubs. Il décrit à la fois les établissements et les propriétaires, fournissant au passage une belle galerie de gangsters.

Le statut nouvellement acquis des musiciens noires reste cependant fragile et ceux-ci pour éviter les problèmes portent des armes, même Duke Ellington! Les collaborations entre mafieux et musiciens se passent généralement bien à conditions de respecter les règles. Les gangsters attendent de leurs employés qu’ils soient loyaux, travailleurs, élégants, discrets et surtout qu’ils ne se mêlent pas de leurs affaires (illégales bien sûr)! Evidemment les lignes sont régulièrement franchies et l’auteur vous fournit de quoi émailler vos scenarii « d’incidents » liés à des histoires de coeur, d’honneur ou d’argent.

 

Duke Ellington
Duke Ellington

La collaboration des musiciens et des mafieux semble bénéfique aux deux parties, mais tenir un club n’est généralement pas réellement rentable pour un gangster. Les taxes et le budget destiné à la corruption d’officiel sont si importants que les bénéfices fondent comme neige au soleil. Posséder un club est surtout une façon de cacher d’autres activités (comme le jeu, bien plus rentable), de rencontrer des gens influents (pour les corrompre évidemment), de montrer sa richesse, son statut social et bien sûr de séduire les femmes!

La situation se dégrade sérieusement suite à la crise de 29. Les années folles sont finies, de nombreux clubs coulent et la plupart des musiciens retombent dans la précarité. L’argent revient peu à peu par la suite mais mauvaises gestions, guerre des gangs et magouilles politiques finissent par avoir raison de cet écosystème construit par les musiciens et les mafieux.

Les hommes politiques profitent en fait de la guerre des gangs pour faire fermer des clubs (sur des arguments moraux, racistes ou d’ordre public). Ils se servent des gangsters comme des boucs émissaires à qui ils font porter la responsabilité de la crise et, à travers eux, attaquent adversaires politiques et syndicats. Si vous êtes tentés, cette période trouble est idéale pour une bonne campagne bien tendue, pleine d’action et de coups tordus.

Souhaitons que cette chronique vous inspire et que « Le Jazz et les Gangsters » vous aide à faire swinguer vos parties. Bonne année ludique!

Fats Waller
Fats Waller

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