La guerre en jeu de rôle est souvent affaire de héros. Un héros qui, en caricaturant un peu, ne doute pas, n’a pas ou peu de besoin et ne ressent pas la peur. Jouer une guerre où les héros tabassent tout ce qui bouge c’est plus simple me direz-vous. Certes. Mais cette simplicité ludique n’est pas toujours le bienvenue. La guerre est complexe mais complexe ne veut pas dire compliqué. Il est en fait possible d’introduire dans nos parties nombre d’éléments de ce riche contexte qu’est la guerre et ce, sans difficultés.
Par la présente aide de jeux (coupée en trois parties vu la longueur du texte), je vous propose de vous donner quelques pistes sur des éléments de la guerre souvent un peu sous exploités. Je n’aborderai pas ici certains aspect comme les tactiques, la stratégie, l’armement etc. qui sont en général suffisamment détaillés dans les livres de jeu de rôle.
En cette période de centenaire, j’ai choisi de prendre comme exemple la première guerre mondiale. Cet article est ainsi basé sur le livre « Vivre et mourir dans les tranchées en 14-18 » de Rémy Cazals et André Loez. Cette ouvrage illustre bien comment peut fonctionner le monde de la guerre. Les auteurs réussissent la performance de rendre compte de tous les aspects de la vie quotidienne du simple soldat durant ce conflit, tout en gardant un ton neutre. C’est un livre très complet, très didactique et bien organisé. Si vous comptez jouer dans cette période, avec par exemple Skulls and Bones, vous pouvez tout à fait le considérer comme un supplément de contexte.
La société militaire et ses besoins
a) Exploiter toutes les oppositions entre groupes
L’armée est structurée en corps et en grade, mais à cette organisation hiérarchique officielle se superpose d’autres découpages.
Tous les pays pratiquant la conscription ont, par exemple, dans leurs armées des militaires de carrière et des amateurs. Entre ces deux catégories, il y a nécessairement des différences d’expérience, d’objectifs, de mentalités etc. et donc, des tensions. De même, les officiers d’une armée sont généralement bien éduqués et donc souvent d’origine plus aisée que le soldat de base. L’armée est donc comme la société, stratifiée en couches sociales. Cela peut évidemment amener certaines frictions, d’autant plus que les officiers sont en général moins exposés aux combats que les simples soldats. Si le brassage social est limité, le brassage géographique est, quant à lui, très présent. Des soldats de toutes les régions se retrouvent ainsi mélangés dès qu’un conflit éclate. Dans un pays où il existe des oppositions entre régions (nord / sud par exemple pour la France du début XXème) cela ne manque pas de créer des heurts.
Il peut également y avoir des conflits entre soldats de la métropole et ceux des colonies, entre hommes et femmes dans les armées modernes etc. N’hésitez pas dans vos parties à exploiter toutes les oppositions possibles. Ceci vous mènera sûrement à mettre en scène des bizutages, des rixes, des joutes verbales, des désobéissances, quelques coups bas etc. autant de situations créatrices de jeu.
b) Jouer tous les besoins de l’armée
Tout comme la société d’où elle est issue, une armée a énormément de besoins. Outre les besoins en homme et armement, il y a ceux en nourriture, en soins, en vêtements, en transport… Les satisfaire nécessite une énorme logistique et beaucoup d’hommes pour s’en occuper. Tous ces besoins peuvent être intéressant à jouer car ils sont d’une importance stratégique et impliquent toutes sortes de métier, de lieux, des liens entre le front et l’arrière…
Un homme blessé dans les tranchées en 1914, par exemple, pouvait selon la gravité des blessures être soigné directement à son poste, dans une ambulance stationnée en retrait des lignes, dans un hôpital à proximité ou dans un autre plus loin à l’arrière. Le soin peut donc être toute une aventure et l’occasion de rencontres ou d’intrigues plus fécondes qu’un simple jet de soin.
Lors d’un conflit, les troupes peuvent également avoir besoin d’infrastructures défensives ou offensives (campement, tranchée, soutien pour les canons…). Leur mise en place peut représenter un défi intéressant pour les PJ, surtout s’il faut faire tout cela sous le feu de l’ennemi. Une fois en place, ces infrastructures doivent être maintenues et continuent à mobiliser des hommes.
Si assurer ses besoins en nourriture ou construire son système défensif est vital, il peut être tout aussi important de désorganiser l’ennemi pour qu’il ne puisse pas en faire autant. Pour ce faire, il faut s’infiltrer dans les lignes ennemis pour aller saboter des installations, voler du matériel, assassiner quelques personnes bien choisies… Vous pouvez proposer ce genre de mission à vos joueurs, en les agrémentant, ou pas, de reconnaissance des lignes ennemis ou d’espionnage (pour découvrir des installations ou des armes secrètes). Le mode furtif, conseillé dans ce genre de situation, incitera vos joueurs à jouer différemment.
c) Jouer les interactions entre l’armée et la population
Les troupes interagissent régulièrement avec les populations civiles (amies ou ennemies): pour satisfaire les besoins décrits plus haut (nourriture, eau, matériaux, main d’oeuvre etc.), en cas d’exode, de guérilla, lors d’une occupation de territoires conquis ou libérés… Ces interactions offrent, entre autres, l’occasion de poser aux joueurs quelques cas de conscience. Comment vont-ils se comporter avec ces populations? Les verront-elles comme des menaces potentielles? Jusqu’où vont-ils les exploiter ou les violenter pour assurer l’approvisionnement des troupes ou pour des raisons stratégiques?
Dans un contexte de guerre, il peut donc être intéressant de ne pas trop isoler les joueurs et leur armée de la population pour permettre les interactions mentionnées précédemment.
Une armée doit pouvoir maintenir ses troupes motivées. Cette motivation vient de la hiérarchie mais également de l’arrière, de la société civile. Les hommes politiques (entre autres) se chargent de la propagande nécessaire pour construire ce patriotisme qui va motiver les troupes et donner un sens au conflit. La famille, les amis, les gens du village exercent quant à eux une pression sociale qui pousse chaque soldat à faire son devoir. Vous pouvez donc utiliser le patriotisme ou les relations des joueurs pour les inciter à faire ou ne pas faire certaines choses.
Les contacts avec l’arrière, grâce aux permissions par exemple, permettent également aux soldats de retrouver périodiquement une certaine normalité. Cette normalité peut ressourcer, motiver mais choquer aussi. Il n’est, en effet, pas facile de voir que les civils n’ont pas changé de mode de vie quand on traverse soit même l’enfer. Loin d’être inutiles, ces petites pauses dans le conflit peuvent engendrer ou justifier des changements chez les personnages et sont donc intéressantes à jouer.
A bientôt pour la suite!