Après avoir titillé votre curiosité avec ma précédente chronique sur l’espionnage (enfin je l’espère), j’entends bien avec celle-ci prouver à tous les MJ que l’espionnage est LE thème idéal pour le jeu de rôle (que vos aventures soient dans un contexte historique ou non). Les éléments constitutifs de cette chronique sont tirés du très recommandable, « Services Secrets, une histoire, des pharaons à la CIA » de Wolfgang Krieger. Très intéressant à bien des égards, ce livre vous donnera tout de même un peu de fil à retordre pour en venir à bout.
Périodes et Acteurs de l’espionnage
Le premier avantage de l’espionnage est que contrairement à d’autres genres plus typés, ce thème vous laisse libre des périodes, des contextes et des régions du monde dans lesquelles vous ferez évoluer vos joueurs.
En effet, dès l’antiquité la pratique du renseignement était déjà très répandue. Au Moyen-Orient (Egypte, Perse …) comme en Asie (Chine, Inde …), les souverains entretenaient sur leur territoire de vastes réseaux de collecte d’informations (spécialement dans les régions récemment conquises). Il leur paraissait en effet nécessaire pour la pérennité de l’empire d’être informé des allégeances, des intentions et des activités de leurs sujets, surtout celles des élites et de certaines minorités ethniques et religieuses. Il existait même des agents chargés de surveiller les collecteurs d’information, avec en Perse « L’oeil du roi » par exemple.
Les besoins logistiques du renseignement sont importants et les ressources nécessaires ne sont pas facilement mobilisables si l’activité doit rester secrète. Avant l’apparition d’états aussi structurés qu’aujourd’hui, l’espionnage était donc naturellement associé à des réseaux permettant d’en supporter et d’en dissimuler la pratique.
Ainsi durant l’antiquité, un agent pouvait être un fonctionnaire des impôts, un militaire ou un marchand. Etre marchand fournissait à la fois une bonne couverture et permettait d’utiliser des réseaux de relais où l’on pouvait trouver eau, nourriture, chevaux… A l’époque de Richelieu, un agent pouvait également être un religieux. L’agent le plus important de son réseau était d’ailleurs le célèbre Père Joseph. A partir du XVIIème siècle, ce rôle d’espion fût souvent endossé dans toutes les grandes cours d’Europe par des diplomates (qui géraient souvent eux-mêmes leurs réseaux d’informateurs). Le renseignement était cependant parfois pratiqué en dehors de la diplomatie pour mener des négociations parallèles et secrètes (avec par exemple « Le Secret du Roi » sous Louis XV).
Au cours des âges, les pratiques et les acteurs du renseignement ont beaucoup évolué, jusqu’à devenir à l’époque actuelle l’apanage de services administratifs très structurés, disposant de réseaux et de moyens conséquents et composés d’agents formés et spécialisés.
Outre un large choix de périodes et de lieux, vous aurez donc également la possibilité de proposer à vos joueurs des profils d’agents très variés.
Les fonctions de l’espionnage
Utilisé aussi bien en tant de guerre qu’en temps de paix, le renseignement a plusieurs grandes fonctions.
Il sert tout d’abord à collecter des informations sur les puissances amies ou ennemies afin de toujours pouvoir anticiper leurs actions. Fort de ces informations, il permet aussi d’exercer sur ces puissances une influence pour empêcher toute action pouvant nuire aux intérêts du pays. Ces intérêts peuvent être politiques (avec comme exemple historique la période du Grand Jeu ou celle de la Guerre Froide), militaires (les deux guerres mondiales) ou même économiques (les britanniques au Moyen-Orient dans les années 50 pour sauvegarder leurs intérêts pétroliers).
Le renseignement sert aussi à protéger le pouvoir en place de toute menace potentielle. Il peut être donc dirigé aussi bien vers l’intérieur que vers l’extérieur (pour se protéger des dissidents, du terrorisme…). Dans la continuité de cette fonction de protection, l’espionnage sert aussi à infiltrer les services secrets adverses (contre-espionnage).
Quel qu’en soit le but, les activités de renseignement sont composées de plusieurs cycles qui s’enchaînent: tout d’abord la collecte d’informations, puis leurs vérifications, suivies d’une phase d’analyse et enfin d’actions basées sur les éléments précédents.
Ces différentes cycles et fonctions du renseignement pouvaient avant le XXème siècle être gérés par les mêmes personnes. Dans les services secrets modernes cependant, ces différents aspects sont l’affaire de personnes, voir de services ou d’agences différentes. Vos joueurs ne pourront donc pas nécessairement intervenir à tous les niveaux si vous choisissez une période récente, mais la diversité de finalités et d’acteurs de l’espionnage vous permettra tout de même de leur proposer des missions aux buts très variés. Si vous le désirez, vous restez tout à fait libre de proposer à vos joueurs des agents multifonctions, les missions d’infiltration comme celles de « Roulette Russe » pouvant en être la justification (et vous restez libre d’inventer de toute façon).
L’espionnage sous différents angles
Selon vos envies scénaristiques, le monde des services secrets a également l’avantage de pouvoir être présenté aux joueurs de bien des manières.
Le renseignement peut être présenté comme utile ou dangereux selon qu’il améliore ou détériore la situation lors d’un conflit. En réalité, il a régulièrement les deux effets. Par exemple au cours de la seconde guerre mondiale, les services secrets britanniques ont à la fois commis une énorme erreur en surestimant l’armement de l’armée allemande et ont remporté une victoire décisive en déchiffrant ses codes.
Rien n’est cependant définitif dans le monde du renseignement. Même lorsque les actions des services secrets semblent avoir, de prime abord, des effets positifs, au long terme ces effets peuvent se révéler néfastes (comme ce fût le cas de nombreuses fois durant la Guerre Froide). En suivant cette idée, vous pourrez montrer à vos joueurs que réussir une première mission peut leur jouer des tours à la suivante (niark niark niark).
Le monde du renseignement peut aussi être vu comme un milieu où l’on n’est jamais sûr de la fiabilité de ses contacts. Les exemples historiques de trahison abondent (les cinq de Cambridge par exemple). Les cas d’agents doubles et de défections furent si nombreux après la seconde guerre mondiale que les services secrets des grandes puissances durent être purgés (US, Russie, Angleterre, France…). En termes de jeu, cette possibilité constante de trahison peut amener à votre table une ambiance de paranoïa intéressante.
Dans un contexte de défense de la patrie comme celui de la guerre d’indépendance des Etats-Unis (voir la série « Turn » à ce sujet) ou de la seconde guerre mondiale (du côté de la résistance), vos joueurs auront le confort de se savoir du côté des « gentils ». Dans celui d’une dictature par contre, être agent devrait les mener à se poser des questions d’ordre moral. Les services secrets se sont maintes fois révélés être des instruments impitoyables entre les mains des dictateurs (à l’instar de la Tcheka russe) mais ils se sont parfois aussi retournés contre eux. L’opposition à Hitler s’est ainsi développée dans les services secrets allemands.
Cet élément de dictature n’est pas essentiel à la question morale. Dans leur lutte contre le communisme et le terrorisme, les pratiques des services américains ont largement dépassé les limites du « moral » : torture, assassinats ciblés (habituellement plus pratiqués sous des régimes non démocratiques et ce dès la Chine impériale), soutien à des groupes d’opposition peu recommandables (une autre vieille pratique déjà utilisée du temps d’Elisabeth Ier par exemple), soutien à des dictateurs…
Les services secrets et les pouvoirs politiques ne travaillent pas toujours en bonne entente. De nombreux échecs attribués aux services de renseignement ont, en réalité, été le fait d’une mauvaise utilisation de ces services par le politique (Staline, Kennedy …). Cet élément peut également être exploité durant vos parties en confrontant vos joueurs à un adversaire interne, cet adversaire pouvant être le politique ou un autre service de renseignement (les Etats-Unis en comptent apparemment 17, ce nombre élevé favorise les interférences entre services)
L’espionnage est depuis le XXème siècle devenu éminemment technologique. Ces technologies ont bien sûr permis d’améliorer les services secrets en les rendant plus efficaces et plus réactifs, mais elles ont largement augmenté leurs coûts de fonctionnement (les réseaux de surveillance radio, satellite, informatique etc. engloutissent une bonne partie des budgets). Dans cet environnement de technologie de pointe, le matériel à la James Bond n’est certes qu’un détail budgétaire mais pouvoir fournir ce type de ressources à vos joueurs devraient être grandement apprécié.
Tout est bon dans l’espion
Pour finir, l’espionnage c’est aussi pour vous MJ l’assurance de pouvoir: constituer des groupes de PJ facilement, d’avoir des possibilités infinies d’amorce de scenarii et de missions, de pouvoir antagoniser facilement les PJ avec d’autre groupes, de leur fournir de grands ennemis à affronter, d’avoir des campagnes malléables (la vérité est toujours ailleurs), de maintenir facilement tension et attention à votre table …
Bref que du bon, alors vous savez ce qu’il vous reste à faire.
Ce document ne devrait pas s’auto-détruire dans quelques secondes, enfin normalement.
sympathique cet article. Pour info, et faire un parallélisme avec la citation : dans Les Secrets de la 7e Mer, une société secrète d’espion du Sultan de l’Empire du Croissant, se nomment les Yeux du Paon (traduit littéralement de Eyes of the Peacock) 😉
Content que ça te plaise 🙂
Dans Thoan, les espèces d’oiseaux qui surveillent la population sont appelés les yeux du seigneur