L’adaptation de licence de jeu de rôle en jeu vidéo ne se fait pas tous les quatre matins. Si Donjons & Dragons et le Monde des ténèbres ont déjà eu plusieurs jeux vidéo proposés dans leurs univers, l’Appel de Cthulhu n’avait eu cet honneur depuis de nombreuses années. L’univers de H.P. Lovecraft avait déjà été évoqué dans plusieurs autres jeux vidéo, Cyanide studios nous propose ici une adaptation directe de l’univers développé par Chaosium au fil des différentes versions de l’Appel de Cthulhu.
C’est à l’occasion de cette sortie fin Octobre que Guillaume et Benjamin ont décidé de vous proposer manette en main, et Mathieu pour répondre aux commentaires, une première découverte de Call of Cthulhu. Néanmoins, comme nous ne faisons pas les choses à moitié, nous vous proposons également dans cet article, une série de réponses aux questions que nous avons posé à Jean Marc Gueney, game designer chez Cyanide et ayant travaillé à l’élaboration du jeu.
Rôliste TV : Comment avez-vous approché cette adaptation ? Êtes-vous parti tout d’abord sur les textes littéraires ou plutôt sur les campagnes et scénario proposé avec le jeu de rôle ?
Jean Marc Gueney : Nous voulions proposer un scénario respectant la structure narrative des nouvelles de HPL tout en présentant une expérience proche de celle des sessions de jeu de rôle. Nous avons eu la chance de travailler avec Mark Morrison, auteur de nombreuses campagnes et ouvrages pour le jeu de rôle. Il a alors conçu un scénario original tout en respectant les contraintes propres au jeu vidéo. En partant de cette trame, qui n’a pas changée tout au long du projet, nous avons ajoutés les éléments du jeu de rôle adaptés au jeu vidéo tout en développant certaines parties de son histoire originale.
R TV : Le jeu de rôle AdC à plus de 30 ans d’existence et pas moins de 7 versions proposé aux joueurs au fil des années. Comment avez-vous approché un jeu qui comporte autant de versions et d’extensions ?
JMG : En étudiant les différentes versions, on constate que le système chaosium (le système Basic) a peu évolué au cours des années, de même que les concepts proposés par le jdr. Même si les dernières versions ont modernisé les règles et les manières d’aborder la façon de jouer et de raconter une histoire dans l’univers de Lovecraft. Nous avons choisi la vision ‘classique’ qui se rapproche le plus de la façon qu’avait Lovecraft de plonger ses personnages principaux au cœur de l’horreur psychologique. Cette construction/progression de la peur et le basculement vers la découverte de ce qui se cache derrière notre perception de la réalité qui forment l’identité des nouvelles de Lovecraft.
R TV : Vous êtes-vous inspirés des contenus créés par les traducteurs de Chaosium dans les divers pays, notamment la France et l’Allemagne où le contenu original est assez riche, ou vous-êtes-vous plutôt concentré uniquement sur la version de Chaosium ?
JMG : Nous avons principalement étudié les versions américaine et française. De la version française nous avons utilisé comme source de documentation nombreux suppléments, notamment « Au cœur des années 20 » ou encore « Necronomicon et autres ouvrages impies ». La version américaine nous donnait la représentation des monstres par « Field Guide to Lovecraftian Horrors » ou encore les techniques policières des années 20 avec « Forensic, Profiling & Serial Killers ».
R TV : On sait que le système D100 dans AdC peut être particulièrement punitif et a tendance à donner des marges de réussite basses. Avez-vous tenté de retranscrire le système de jeu dans le jeu vidéo ou êtes-vous parti sur un gameplay qui retranscrit plutôt l’ambiance se déroulant dans les parties de jeu de rôle ?
JMG : Les défauts du système D100 tendent à se corriger dans les éditions récentes (possibilité de prendre du temps, retenter sa chance, etc). Étant donné l’échelle de notre jeu, nous n’avons pas intégré ces variantes des mécaniques de base ; Pour compenser cela, chaque objectif qui peut être atteint de plusieurs façons offre toujours une voie ne demandant pas de test de compétence (mais plus d’exploration du terrain de jeu). De même, quand le joueur remplit toutes les conditions, le test devient une réussite automatique là où il y a un test « standard » si le joueur ne dispose que d’une partie des éléments liés à la situation.
R TV : Vous-êtes-vous inspiré des visuels du jeu de rôle pour vos premiers concept art ou êtes-vous plutôt remonté à la source des textes littéraires pour puiser votre inspiration ?
JMG : Les deux, dans le Jeu de rôle, certaines illustrations sont datées voire légèrement grotesques (dans les anciennes versions principalement, les dernières éditions sont plus modernes et les illustrations fantastiques). Nous sommes donc repartis de la description des créatures données par les témoignages issus des nouvelles de Lovecraft. En revanche, comme ces descriptions sont toujours relatées par des personnes ayant subis un choc traumatique dû à l’horreur, nous avons essayé de faire la part entre le déformé par l’horreur, le fantasmé et le factuel.
R TV : Les nouvelles de H.P. Lovecraft font régulièrement référence « l’indicible », au « cyclopéen ». Dans une partie de jeu de rôle chaque personne tente d’interpréter à sa manière ces descriptions mais dans un jeu vidéo il faut matérialiser à l’écran tous ces termes ; quelles astuces avez-vous utilisés ?
JMG : L’indicible est la première émotion face à l’horreur, le choc étant trop brutal pour décrire objectivement et posément l’expérience vécue. En revanche, après coup, la description bien que toujours déformée contient généralement beaucoup de détails et certains très précis. Pour traduire cette impossibilité de se souvenir de la rencontre avec une horreur Lovecraftienne, certaines de nos créatures ne peuvent pas être observées longtemps (le personnage perd de la SAN s’il regarde directement la créature) et plus la créature est éloignée plus ses traits sont diffus, indéfinissables. Cette méthode ne laisse jamais le temps au joueur d’observer calmement et longtemps une créature.
R TV : Avez-vous testé le scénario du jeu vidéo dans des parties de jeu de rôle ? Avez-vous vous-même animé des parties à Cyanide entre collègues pour que chacun puisse se plonger dans l’ambiance particulière de l’Appel de Cthulhu ?
JMG : Nous n’avons pas testé le scénario spécifique de notre jeu vidéo sous forme de Jdr car tous les membres de l’équipe le connaissaient. En revanche, j’ai animé plusieurs séances afin que tout le monde ait un bon aperçu de l’ambiance particulière du jeu de rôle.
R TV : Y-a-t-il une campagne ou un scénario du jeu de rôle AdC qui vous a particulièrement marqué ? Y-a-t-il quelques clins d’œil dans le jeu au jeu de rôle ou à ces scénarios ?
JMG : Les masques de Nyarlathotep probablement ainsi que certains scénarios non officiels édités dans les revues spécialisées (je pense principalement à Casus Belli) m’ont aussi marqué. En revanche il n’y a que très peu de clin d’œil car le jeu s’adresse avant tout à un large public et pas uniquement aux rôlistes. Sauf si Mark a réussi à glisser quelques références à notre insu, il en est capable le bougre. Les références concernent plus les nouvelles de Lovecraft ou des œuvres de la culture populaire inspirées des écrits de H.P.Lovecraft.