Auteur, compositeur et interprète de ses morceaux, L’1consolable rappe, sur de bons vieux breakbeats hip-hop teintés de jazz, de folk et de musiques du monde, la violence d’une société qui la pratique au quotidien tout en la prêtant à ceux qui se retournent contre elle.
En 2011 sort « L’1consolable est payé », double-album composé de deux volumes, « L’1consolable est payé à rien foutre » et « L’1consolable est payé à foutre la merde », articulé autour des thèmes de la critique de la société de consommation, des normes sociales qu’elle impose et du travail aliénant qu’elle produit et promeut, ainsi que de l’attitude révérencieuse des grands médias à son égard.
En 2014, c’est au tour de « L’1consolable est payé à leur dire d’aller se faire foutre », troisième et dernier volet de la trilogie L’1consolable est payé, de voir le jour, suivi de près par « RAPortages », opus comportant une petite dizaine de reportages rappés sur l’actualité.
Fin 2015, paraît « L’1consolable est qualifié », EP 6 titres en forme d’autoportrait, en 6 adjectifs qualificatifs qui sont autant de chansons, et à l’occasion duquel le rappeur rend un hommage musical à Nina Simone en composant l’ensemble des prods de l’album exclusivement à partir de samples issus de ses chansons. Au printe
mps de l’année suivante, L’1consolable publie sans aucun doute son projet le plus fou: « Rap Games » compte 15 chansons de rap au contenu politique qui sont par ailleurs autant de jeux à solutionner par l’auditeur, qui armé d’un magazine illustré d’une cinquantaine de pages pourra en découvrir les règles ainsi que les solutions.
En 2018, l’artiste poursuit ses explorations formelles et sa quête politico-ludique avec un nouvel opus non moins singulier. « L’Augmentation, un album dont vous êtes le héros » est un album interactif de 49 titres, une fable musicale où ce sont les choix de l’auditeur qui, en fin de chaque piste, déterminent la suite des évènements ainsi que la chanson qui va suivre. L’auditeur endosse alors le rôle d’un employé d’entreprise qui chercher désespérément à obtenir une augmentation de son chef de service. A travers ces 49 chansons, L’1consolable explore la violence du monde du travail et questionne le spectateur sur le poids de ses décisions dans une entreprise qui n’est pas la sienne.
1/ Bonjour, tout d’abord, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
L’1consolable, rappeur et beatmaker depuis plus de 20 ans même si, par exigence, je n’ai publié mon premier album qu’en 2011. Je suis par ailleurs traceur (pratiquant du parkour ou art du déplacement) depuis environ 13 ans, et vidéaste à mes heures perdues.
2/ Quelle est l’importance du jeu dans votre œuvre et votre vie ? Y’a-t-il des jeux qui vous ont particulièrement influencé ?
Le jeu a toujours eu une importance primordiale dans ma vie. Comme à peu près chaque enfant je suppose, j’ai joué à tout et n’importe quoi étant petit: à cache-cache, à chat, aux billes, aux cartes, aux dames, au ballon, aux osselets, à des jeux de société, à des jeux vidéos, bref à toutes sortes de jeux y compris -et surtout – des jeux inventés par mes soins ou ceux de mes camarades de jeu. Comme chez beaucoup d’autres mammifères, le jeu joue – c’est le cas de le dire- un rôle essentiel dans la construction, l’apprentissage, et la socialisation des petits de l’homme. Aussi y sont-ils enclins assez spontanément. Reste que le défi majeur consiste, pour la plupart d’entre nous, à ne pas suivre l’injonction sociale qui nous est faite de cesser de jouer en grandissant, à continuer non seulement à jouer mais à jouer sérieusement -car c’est bien ainsi que jouent les enfants-. Or, c’est bien à cantonner le jeu à une place anecdotique, celle de la partie de jeu vidéo sur le smartphone ou encore du match de foot le dimanche, c’est-à-dire celle du revers-loisir de la médaille
-travail, que l’ordre social capitaliste nous enjoint. C’est ainsi dans l’optique de résister à cette injonction que je me suis mis à jouer avec mots et sons en m’adonnant au rap, puis avec murs et mobilier urbain en découvrant quelques années plus tard le parkour. Même si j’en ai d’autres, ce sont aujourd’hui ces deux jeux-là, auxquels je m’adonne le plus sérieusement du monde, qui occupent l’essentiel de mon temps.
3/ Pourquoi avoir créé « Rap Games » ? Vous aviez-besoin de ludique dans votre musique où est-ce pour une autre raison ?
L’idée m’est d’abord venue, courant 2013, de concevoir trois charades rappées. Je tentais à cette époque moi-même , avec joie mais difficulté, de résoudre celles qui mensuellement paraissaient dans la regrettée revue mensuelle Le Tigre. Très enthousiasmé par la chose, je me suis alors mis en tête d’en écrire trois destinées à être rappées , ajoutant aux contraintes propres au format de la charade celles du rap: rimes, rythme, flow, punchlines. L’exercice m’ayant plu, j’envisageais peu après de les inclure dans un projet plus global mêlant rap et jeux. C’est donc assez naturellement que le titre Rap Games s’est imposé à moi, ayant d’une part l’avantage de décrire le contenu de l’album de manière claire et concise, et d’autre part celui de tourner en dérision l’expression rap game souvent utilisée au premier degré par certains rappeurs pour savoir qui en est le boss ultime. C’est ainsi que Rap Games a vu le jour, compilant toutes sortes de jeux rappés : des charades au Qui est-ce ? en passant par le texte à trous, les mots cachés, mêlés, et même par une adaptation du jeu télévisé Motus. Mes influences furent donc assez diverses même si les jeux articulés autour des mots ont clairement une place privilégiée dans le projet. Quant à la question de savoir si j’avais besoin de ludique dans ma musique, je dirais oui et non.
Non, parce que le rap m’apparaît déjà comme un jeu au départ : pour reprendre la métaphore d’Eminem , c’est une sorte de puzzle dans lequel chaque pièce est un mot. Il s’agit alors de donner sens à l’ensemble en imbriquant les mots de telle manière à ce que les sons se répètent, s’alternent ou se répondent. C’est un jeu qui a ses règles propres, et où le fait de jouer constamment avec les mots et les sons ne s’oppose pas à la teneur du propos mais au contraire participe du sens.
Oui, parce que je suis toujours à la recherche de nouveauté et de créativité dans le jeu, de nouvelles façons de jouer ou de nouveaux jeux qui pourraient venir enrichir mon imaginaire et, par là, la musique qui en émane.
4/ Votre dernier album, « L’Augmentation, un album dont vous êtes le héros », nous embarque dans un jeu social et musical connotant les jeux vidéo point and clic ou les livres dont vous êtes le héros : quel a été le déclencheur pour l’écrire et vous êtes-vous inspiré de jeux en particuliers ?
D’abord, j’ai toujours aimé les livres dont vous êtes le héros, à la fois du fait du sentiment de notre propre implication et incidence en tant que lecteur dans l’issue de l’aventure contée, et à la fois pour la multiplicité des possibles ouverts par ce type de récits. Il y a quelque chose de « magique », de mystérieux là-dedans, qui m’a toujours séduit.
Cela dit, c’est une aventure vécue plutôt que lue qui m’a plus particulièrement inspiré de transposer cette structure narrative à la musique.
J’ai oublié dans un train, il y a quelques années, le carnet dans lequel j’écrivais mes chansons. Le carnet était quasiment rempli et contenait bien 2 ans d’ouvrage. Hélas, et en dépit de tout ce que j’ai fait pour le retrouver, je ne l’ai jamais revu. Or, ce qui m’a frappé alors, c’est que l’aventure de sa recherche infructueuse s’est déroulée tout du long comme si à chaque embranchement où deux possibilités se faisaient jour, l’une d’elle pouvant me conduire à retrouver le carnet, et l’autre diminuant un peu plus mes chances d’y parvenir, c’est toujours la seconde qui s’avérait réalisée.
Par exemple, je suis revenu le soir même dans le train encore en gare à Montparnasse, moins d’une heure après l’arrivée : le carnet aurait pu encore se trouver derrière la tablette où je l’avais oublié. Y était-il ? Non. Il aurait donc du être déposé aux objets trouvés. Y était-il ? Non. Il a donc été jeté à la poubelle par l’équipe de nettoyage du train, qui aurait a priori du le jeter dans la poubelle papier. J’ai trié avec un ami une benne industrielle de papiers de la SNCF contenant plusieurs tonnes de déchets, dont ceux jetés le jour de l’arrivée de mon train. Y était-il ? Non. Le carnet avait donc été jeté à la poubelle « autres déchets » comprenant notamment toute la nourriture en décomposition. Etait-il possible d’accéder à cette benne avant la destruction des déchets? Non.
En repartant bredouille du tri de la benne papier, j’ai eu ce sentiment d’être pris dans un labyrinthe avec à chaque embranchement deux chemins possibles, et où celui sur lequel mes pas me mènent est systématiquement celui qui m’éloigne encore un peu plus de la sortie. J’ai instantanément pensé à faire de cette mésaventure un album, en conservant cette idée d’implication de l’auditeur à travers des choix en fin de chaque chanson. Puis, le temps passant, ma peine s’est dissipée, et le besoin de parler de cette histoire avec elle. D’autant qu’elle me semblait trop personnelle et spécifique pour que l’auditeur puisse s’y identifier facilement. J’ai donc décidé de conserver la structure narrative mais de changer le contenu. C’est alors que j’ai repensé à ce jubilatoire texte de Georges Perec que j’avais lu quelques années auparavant intitulé L’art et la manière d’aborder son chef de service pour lui demander une augmentation. J’ai tout de suite su que c’était le contenu parfait pour le projet d’album dont vous êtes le héros qui me trottait dans la tête depuis un moment.
D’abord, et surtout, parce qu’il est lui-même basé sur un organigramme anonyme énonçant l’ensemble des situations et leurs différentes issues possibles. Ensuite, parce que le texte a deux qualités notoires: il est profondément politique et laisse entrevoir de manière très juste l’absurdité du travail, la violence des rapports hiérarchiques qui s’y déploient, la confiscation du sens de ce qu’on fait, le chantage à la survie en quoi consiste le salariat, le temps qui nous est volé et qui ne reviendra jamais ; mais il est également très drôle, confinant parfois à l’absurde à travers des situations, raisonnements ou dialogues carrément surréalistes. Enfin, parce que j’aime beaucoup ce texte, et l’oeuvre de Perec plus généralement, et que lui rendre un hommage en forme d’album interactif me paraissait réjouissant.
Alors que l’album, dont l’écriture était terminée, était en cours d’enregistrement, j’ai découvert The Stanley Parable, un jeu sur PC aussi inquiétant qu’hilarant qui prend place dans une entreprise inexplicablement déserte où l’employé que nous incarnons a sens cesse le choix entre donner raison au narrateur ou le faire mentir. J’ai pris beaucoup de plaisir à en explorer les moindres recoins, et y ai instantanément vu une forte parenté avec mon propre projet.
5/ Le jeu est un média social, votre musique l’est également : est-ce que tout est social pour vous ?
L’humain, comme beaucoup d’autres espèces, est un animal social, c’est-à-dire qu’il vit en groupe avec ses congénères et interagit constamment avec eux. En ce sens-là, tout ce que nous faisons est social, oui : nous disons ce que nous disons parce que d’autres nous écoutent ou nous interpellent, et faisons ce que nous faisons parce que d’autres nous observent ou nous appellent. Nous vivons avec les autres et agissons en conséquence, et même retiré au fin fond d’une grotte, nous sommes un animal social dans l’isolement plutôt qu’un animal solitaire, car c’est la société qui nous a vu naître qui nous a en quelque sorte façonné, et qui reste présente en nous-mêmes lorsqu’on s’en retire.
Mais votre question porte peut-être plutôt sur le fait de savoir si pour moi tout est politique. Si c’est bien le sens de votre question, là encore je crois que oui, tout est politique. J’entends politique au sens du politique et non de la politique, au sens de tout ce qui a trait au collectif et affecte d’une manière ou d’une autre une collection d’individus et/ou de groupes qui interagissent -et non pas au sens du jeu électoral auquel se livrent régulièrement un certain nombre de mes congénères-. En ce sens-là (celui du politique), tous les choix que nous faisons, les paroles que nous prononçons, les actes auxquels nous nous livrons, tout cela est politique, de la manière dont on se nourrit à la manière dont on fait l’amour, en passant par les jeux auxquels nous jouons et la musique que nous écoutons -ou faisons-.
6/ Et le jeu de rôle dans tout ça : vous pratiquez ? Des jeux en particuliers ?
Bizarrement, alors que d’une part j’adore jouer, alors que d’autre part mes amis y jouaient et m’en parlaient sans cesse, et alors que j’aurais pu beaucoup apprécier, je n’ai joué de ma vie à un jeu de rôle. Je ne pense pas que ce soit là l’effet d’une volonté marquée de ma part, mais l’effet d’un, ou plutôt de plusieurs, concours de circonstances. Toujours est-il que j’en ai entendu beaucoup de récits, tous plus excitants les uns que les autres, mais n’y ai jamais moi-même pris part. Un jour viendra peut-être…
7/ Suivez vous l’actualité du monde ludique : un coup de cœur récent ?
Disons que je suis ça de très loin : des amis joueurs me font part de leurs coups de coeur, je lis ça et là quelques chroniques, et surveille les sorties de jeux PC (je n’ai pas de console). Je joue finalement beaucoup avec ce que j’ai sous la main : un awalé, un plateau d’échecs, une charade à résoudre, des mots fléchés, des balles de jonglage, une guitare…Mais, encore une fois, les jeux auxquels je m’adonne le plus sont, de très loin, le rap et le parkour. Je joue aussi de temps à autres à des jeux vidéos, dont certains, en plus d’être beaux, me paraissent incroyablement riches et stimulants. Parmi mes derniers coups de cœur en la matière, je peux citer Life is strange, Antichamber, Braid, Limbo ainsi qu’Inside, Portal et Portal 2, Remember Me, Cuphead, Seasons after fall, Ori and the blind forest, et bien-sûr The Stanley Parable.
8/Auriez-vous des conseils pour les lecteurs voulant créer du jeu musical ou voulant se lancer comme vous dans la musique ?
Je n’ai pas cette prétention, non. J’explore certes de nouvelles voies musicales qui font la part belle au jeu, mais je ne suis en rien un spécialiste : j’essaie, je tâtonne, j’expérimente. Dans un cas comme dans l’autre, j’ai appris en autodidacte, je n’ai jamais reçu de formation musicale, je ne sais pas lire la musique ni quel accord ou note je joue lorsque je prends la guitare. Mais à force de pratique et d’aiguisage de l’écoute, je sais quelle note se marie bien à quelle autre, quel accord va bien après quel autre, je sais reproduire une mélodie que j’entends, je sais faire naître une mélodie dans ma tête et la transposer sur un instrument. C’est par la curiosité, l’expérience et le tâtonnement que j’ai appris, et que je continue à apprendre. Il y a tellement de choses à faire que ce soit dans le domaine de la musique ou du jeu ! Le seul conseil que je pourrais à la limite donner, c’est justement de se passer des donneurs de conseils et de ne pas s’occuper des normes en vigueur dans le champ où l’on œuvre, que ce soit le champ musical ou celui du jeu. Je pense qu’il faut savoir faire preuve d’audace, se risquer à réaliser ses idées en tentant d’y être fidèle, fussent-elles surprenantes voire saugrenues, et ce sans trop se soucier de ce que le milieu risque d’en dire. Je pense qu’il faut s’efforcer d’être créatif, c’est-à-dire d’entraîner sa propre imagination, de lui faire faire de la gymnastique, de la muscler pour que les idées surgissent plus spontanément. Le fait d’être créatif, inventif, n’est pas -pas plus que toute autre chose- un don de la nature, c’est le fruit d’un entraînement, d’un conditionnement destiné à favoriser le surgissement de l’idée. Plus on s’entraîne à imaginer, plus notre imaginaire est fécond.
9/ Quel prochain jeu nous préparez-vous ?
Figurez-vous que je n’en ai pas la moindre idée ! Et ce n’est pas pour garder le suspense. Je suis ces temps-ci tant accaparé par la diffusion de mon dernier album ainsi que par la création et la diffusion du spectacle interactif qui le met en scène, « L’Augmentation, un concert à votre façon », pour lequel il y a tant à faire sur tant de fronts différents, que je n’ai pas encore eu le temps d’ouvrir un nouveau grand chantier musical. Mais j’y pense, et votre question est judicieuse: en effet, l’expérience renouvelée de création d’une musique qui se joue autant qu’elle s’écoute m’ayant grandement enthousiasmé, il n’est pas impossible du tout que j’y revienne !
10/ Quelle est votre actualité ?
Je viens de publier, le 9 mars dernier, sous la forme d’un DVD-livre de 100 pages et d’un site internet, mon nouvel album intitulé « L’Augmentation, un album dont vous êtes le héros », album interactif de 49 titres où l’auditeur doit choisir en fin de chaque chanson à la fois ce qui advient dans la fable musicale à laquelle il prend part et à la fois la chanson qui va suivre.
Je joue actuellement l’album sur scène dans « L’Augmentation, un concert à votre façon », concert interactif où le public vote à la fin de chaque chanson sur l’issue de la situation et participe ainsi, chaque soir, à un concert unique, celui du chemin que parmi des milliards possibles il a choisi d’emprunter.
Je suis par ailleurs en train de finir l’enregistrement d’un EP 5 titres où je pose sur les instrus d’un beatmaker états-unien du nom de BBZ Darney. Et un autre EP, cette fois sur mes propres instrus, mais avec la présence à mes côtés d’un rappeur néo-zélandais, est en cours d’écriture. Enfin, quelques morceaux inédits devraient paraître prochainement.