Alors que RolisteTV prépare les tournages de son calendrier de l’avent, petit tour d’Horizon hebdomadaire. Avant de trouver sa rubrique de croisière, cette rubrique hebdomadaire va aujourd’hui se pencher sur l’Ailleurs.
Il est évident que le terme signifie tout et son contraire et comme Frodon l’avait bien compris en quittant la Comté, l’Ailleurs est finalement à un pas de l’Ici. Et en tant que rôlistes, nous le savons bien: l’Ailleurs est même à un mot de l’Ici. Dans le domaine du fantastique, les personnages vont souvent vers cet Ailleurs. Ils découvrent physiquement d’autres mondes sous diverses formes. Il n’y a guère que dans les univers de Stephen King où c’est l’Ailleurs qui vient à la rencontre de l’Ici, quand la belle communauté décrite pendant les premiers chapitres se voit chamboulée.
La plus grande des voyageuses de l’Ailleurs (ou « exploratrice », pour éviter un pléonasme) et la pionnière de genre est bien sûr notre jeune Alice. Elle vivait tranquillement sa vie sans internet ni téléréalité et elle est passée à travers un terrier. Cela peut arriver à tout le monde, concédons-le. Ensuite, en concourant pour le prix de la fille la moins chanceuse de l’année, elle est passée à travers un miroir.
Si Alice ne l’a pas fait exprès, aller dans l’Ailleurs est tout ce que nous souhaitons et je suis certain que chacun passera quelques secondes à tenter de répondre à la question ci-dessous (et pour ma part, cela sera tout sauf la dernière proposition).
Et pour y aller, voici donc un petit tour très sélectif et subjectif de ce fameux ailleurs, pour aller au loin, quelque part nulle part (c).
Si Stephen King aime le schéma de l’étranger dans la communauté, Neil Gaiman utilise le schéma inverse. Dans un parcours que Joseph Campbell ne renierait pas, le héros est bien souvent quelqu’un qui va découvrir un autre monde auquel il appartient de droit, a appartenu ou va appartenir.
Ainsi dans Neverwhere, quand notre bon Richard rencontre Door, il va découvrir l’autre Londres où celle-ci est un véritable reflet altéré de la véritable capitale anglaise. Roman marquant la pierre angulaire de l’Urban Fantasy, où l’on retrouve des échos de certains épisodes de Sandman, il est à lui tout seul un fantastique setting de jeu de rôles. Neverwhere a connu plusieurs vies. Une adaptation télé par la BBC que l’on qualifiera de « modeste », une version BD et dernièrement une fantastique version audio avec de petits noms comme James McAvoy et Benedict Cumberbatch ou encore Natalie Dormer. Les temps ont bien changé.
Entrez dans ce monde, et si vous ne le connaissez pas, amusez-vous à trouver une histoire à chacun de ces personnes qui vivent donc dans le même livre:
Dans la même veine, et dans une ambiance proche de son Mr Punch, Le Diable Vauvert a sorti il y a quelques semaines son dernier roman, le très beau Océan au bout du Chemin. Noël approche, si vous en savez pas quoi offrir..
Le thème de la découverte d’un autre monde est souvent associé avec la magie et les fées. Celles-ci sont l’anti-thèse d’une société moderne, monde où la notion de merveilleux a disparu. Il y a bien souvent le thème de la fuite du héros, mise en abyme du lecteur, qui découvre avec lui un nouvel univers. Mais pourtant ces mondes ne sont pas non plus dénués de violence. Dans la Guerre des Fleurs de Tad Williams, Theo, musicien de son métier va découvrir l’appel des Feys après un sacré virage à 180 degrés de son existence (il perd son groupe, sa femme et en plus il pleut..). Dans cet épais opus, on passe du tout au tout (de la vie bien/trop ancré dans la réalité à la féérie la plus complète) et le « Pays des Merveilles » est à la vraie image des fées: assez impitoyable. Le livre est certes « a tad » long (jeu de mots! ) mais le lecteur se retrouve happé dans un fabuleux univers et suit le destin de Théo avec exaltation, passant par toute la gamme des sentiments.
Une autre histoire de passage est celle de magiciens qui pensaient que la magie n’existaient pas et qui découvrent qu’en fait c’est le cas. L’inimitable Jonathan Strange et Mr Norrel nous plonge dans une Angleterre à l’époque de Napoléon et ce livre est un régal de chaque page. Imitant le style de l’époque, avec des notes de bas de page que les lois de l’imprimerie devraient réprouver, cette histoire en humour pince-sans-rire (tout du moins au début) décrit l’affrontement des deux personnages éponymes. La qualité d’écriture de Susanna Clarke explose dans cette oeuvre dense et touffue, à la créativité indéniable. L’histoire prend son temps pour poser l’univers et quand frappent les rebondissements ceux-ci sont d’autant plus marquants. A noter que la version originale possède des illustrations d’ambiance que certains éditeurs n’ont pas jugé bon de reprendre en français.
Si vous n’avez pas encore mis la main sur ce petit bijou, précipitez-vous dessus et cela vous permettra de surcroît de briller en société car la BBC tourne en ce moment son adaptation, les premières images ayant été publiées cette semaine. Si vous avez été spoilé avec Game of Thrones, c’est le moment de vous venger!
Alors comment adapter ce genre et ces atmosphères de découvertes dans le jeu de rôles? Eh bien tout d’abord la gamme White Wolf y répond parfaitement. De Wraith à Werewolf en passant par Vampire, les personnages vont découvrir un autre monde (sans grand espoir de retour pour Wraith, à l’évidence) et la notion de « Prélude » porte bien toutes les germes d’un changement de perspective.
Mêlant tous les tropes du genre (fées et découverte), Changeling est le jeu qui s’approche de la révélation de l’autre monde. On se rappelle encore de la couverture façon vitrail et de l’intérieur tout en couleur qui tranchaient avec le noir et blanc du World of Darkness première mouture. Après avoir été The Dreaming, le jeu a subi un changement de descriptif en devenant The Lost. Comme toujours avec les jeux White Wolf, ceux-ci sont tellement vastes dans leurs thèmes qu’ils peuvent se jouer de la manière la plus ridicule et simpliste (ah… le Brujah à batte de base-ball dans Vampire..) à la plus adulte et élaborée. C’est très certainement pour cela que Changeling a eu du mal à trouver son public, ne parlant pas assez à son public potentiel. Si l’on devine ce que l’on peut faire quand on est un mage ou un Loup Garou, être quelqu’un qui lutte contre la banalité ne parle pas forcément au premier abord.
Il existe aussi parfois le sens inverse, à savoir quitter l’Ailleurs pour retrouver l’Ici comme avec Grimm de Fantasy Flight Game. Vous voilà donc dans la peau d’enfants de notre monde qui se retrouvent projetés dans l’univers quelque peu alternatif (si cette expression peut s’appliquer) des contes des frères Grimm. Certes, La Comtesse de Ségur aurait été plus calme comme univers mais peut-être plus ennuyeux aussi. Prisonnier de cet univers, vous allez donc tenter de revenir à la réalité. Jeu ambitieux et original et desservi par un système simple, un bon concept de départ vous assurera de magnifiques heures de jeu.
Il faut bien admettre que finalement ce genre ne se prête pas à UN jeu en particulier. Il vaut mieux choisir un système suffisamment souple pour pouvoir gérer toutes sortes de situations et laisser la force de votre imagination faire le reste. Ce genre d’univers est un univers qui est « story-driven », trouvant sa force dans le récit. Faites jouer des PJ pré-tirés si nécessaire pour aider le début votre histoire mais ces mondes imaginaires marchent bien mieux lorsque qu’il y a une collaboration joueur/MJ. Cela engendrera une trame créatrice forte et personnelle qui répondra ainsi au mieux à ce que vos joueurs aiment et attendent. Ils vous le rendront en inspiration, soyez-en assurés. Cela créera les meilleures des campagnes, elle-ci qui sont du sur mesure entre vos amis et vous et non pas du prêt à porter anonyme que vous allez devoir retoucher.
Côté comics, je ne peux que vous conseiller le très bon et trop peu connu The Maxx de Sam Kieth. Il est bien difficile de raconter l’histoire en détail sans gâcher la lecture de cet ovni (Marvel et DC ne l’aurait jamais publiée) paru au moment en 1993 (l’année magique) chez Image Comics. Si The Maxx a marqué c’est que contrairement aux autres titres d’Image de l’époque, il y avait une vraie histoire et un vrai scénariste (Bill Messner-Loebs) pour faire vivre les dessins de Kieth. Clochard vivant dans une boîte en carton, The Maxx est aussi cette entité qui vit dans l’Outback, Pangée « parallèle » dans laquelle il défend Julie Winters, une assistante sociale dans le vrai monde (et qui n’est pas au courant de son propre avatar dans l’Outback). Un supplément de jdr était même sorti, difficilement trouvable maintenant, montrant bien là le formidable potentiel de ce qui serait une fantastique et émouvante campagne de jeu. Jamais traduit, d’une originalité et d’une poésie bien rares pour une série régulière, IDW a commencé sa réédition. Un must-have comme on dit là-bas.
et pour illustrer ce voyage vers l’Ailleurs:
La bande annonce de MirrorMAsk du grand DaveMckean (qui demanderait de sacrés talents de descriptions au MJ)
http://www.youtube.com/watch?v=GA1iawlsKLg
Arthur Rackham et Charles Vess, grands dessinateurs « féériques », maîtres de l’Ailleurs…(cliquez sur les images pour un aperçu de leur talent).
Ainsi s’achève notre petit tour bien trop rapide et incomplet. Il y a tant d’autres oeuvres (Le Labyrinthe de Pan, Fäerie de Raymond Feist …) que je n’ai pas mentionnées que je préfère m’arrêter maintenant.
A très bientôt pour un nouveau Tour d’Horizon.