Tour d’Horizons – Jouer avec des joueurs souffrant de handicaps

Pour notre rubrique du mercredi, un article sous forme d’interview de Nicolas, un MJ à la générosité grande comme 1d100+100 etqui repousse les limites de jeu. Un grand chapeau à lui qui se consacre à jouer avec des enfants aveugles ou souffrant d’autres handicaps. C’est à l’occasion du festival Fest’Dif à Villeurbane qui se passe les 21 et 22 mai que nous l’avons interviewé.

Bonjour Nicolas, peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Nicolas JOLY. J’ai 36 ans. Je fais du jeu de rôles depuis une quinzaine d’années et j’ai tout de suite adoré faire des animations «publiques », et « tout public » pour faire découvrir le jeu de rôles. J’habite Auxerre, préfecture le l’Yonne (89), en Bourgogne. J’avais découvert le jeu de rôles dans le club « Eskarmouch » à Moneteau, et j’avais alors représenté le club en animant une table de jdr à la « Fête du Jeu » qui avait lieu fin mai à la « Maison du Jeu » d’Auxerre. Le club multi-jeu Eskarmouch existe toujours, mais la Maison du Jeu a fermée il y a environ 2 ans. Depuis environ 5 ans, il s’est mis en place d’autres événements jeux et j’ai le plaisir de souvent y animer une table publique de jdr. J’ai fondé en septembre 2008 un club de jdr et je l’ai présidé 5 ans, aujourd’hui il continue à fonctionner. Dès mes débuts, j’ai adhéré à la FFJdR, mais par intermittence. Voilà 2 ans que je suis de nouveau membre de la FFJdR, et que j’en suis même l’un des administrateurs (je suis membre du CA). Malgré mon expérience de jdr, je continue à être un rôliste qui fait peu de « roleplay » (dans le sens de théâtre assis) ; cela ne m’empêche pas de faire de l’enquête, de l’intrigue, de l’ambiance… On peut me croiser sur les réseaux sociaux sous le pseudo d’Hombelin le Paladin.

Comment t’es venu l’idée de rendre le jeu accessible à ceux qui pourraient en être privé a priori?

Avant de créer un club de jdr sur Auxerre, j’ai passé 1,5 ans à jouer en ligne, en tchat vocal. J’avais intégré la communauté virtuajdr.net , nous jouions surtout sur leur serveur TeamSpeak, ou parfois sur skype. Il y avait différentes solutions pour avoir des lancés de dés en ligne, au vu et au su de tous, et forcément encore bien plus de solutions pour échanger nos feuilles de PJ (etc). A l’époque, il y avait déjà des logiciels pour imiter la table de jeu. La conférence vidéo n’était pas encore facile, mais on s’en passait très bien : c’était extrêmement proche à du jdr autour d’une vraie table, classique. J’ai gagné alors beaucoup d’expérience en jdr. Et c’est alors qu’une personne aveugle active sur le net a trouvé le site de virtuajdr et a demandé si notre « jeu de rôles » était une activité accessible aussi aux personnes déficientes visuelles. Je me suis alors emparé du « dossier » et j’ai assuré la première séance avec des joueurs déficients visuels. Ce fut un demi-succès, mais j’avais mis le pied à l’étrier. Quelques mois après, à force de communiquer, c’est sur le forum d’Opale que quelqu’un m’a mis en relation avec un rôliste devenu aveugle suite à un accident et qui avait repris son activité de jeu de rôles. Nous avons ensuite pas mal joué ensemble en conférence audio sur skype. Il m’a fait gagné en expérience sur le jeu de rôles, mais aussi sur le jdr avec des joueurs aveugles. Dès que j’ai fondé le club de jdr d’Auxerre, j’ai poursuivit dans ma ville autour de « vraies » tables mon expérience d’accessibilité du jdr aux personnes handicapées.

De quels handicaps souffrent tes joueurs et comment y pallies-tu ?

Les premières personnes handicapées avec qui j’ai jouées, était donc déficientes visuelles (DV) (c-a-d Mal-Voyante ou Non-Voyante). J’ai aussi collaboré un temps avec l’APF, l’Association des Paralysés de France (en gros, les gens en fauteuil roulant).

Pour les DV, comme je l’ai expliqué sur le site enfant-aveugle.com , il n’y a pas de réelles difficultés, mais surtout de l’appréhension à surmonter. Le jdr, c’est surtout une rencontre humaine, et dès que l’on peut communiquer, se parler, ça joue. Soit on se passe de toutes les aides de jeu visuel, afin de mettre tout le monde sur un pied d’égalité, soit on peut aussi tout simplement faire comme d’habitude et décrire les aides de jeu (c’est plus facile, selon moi, de décrire quelque chose que l’on a sous les yeux plutôt que de décrire un truc que l’on a dans la tête). Pour les lancés de dés, le plus simple et le plus convivial reste que le joueur ou le MJ voyant tienne à jour la feuille de PJ, il rappel au besoin le bonus/malus précis, et le joueur DV lance des dés normaux et c’est le voisin qui lui lit. Après, il y a forcément d’autres solutions complémentaires, mais ce n’est pas obligatoire ; sur ce point mon travail sur le site enfant-aveugle n’est plus à jour.

Pour les personnes en fauteuil roulant (etc), il n’y a évidement aucune difficulté. Il faut simplement être vigilent à ce que la personne ne souffre pas d’un autre handicape (handicape intellectuel, etc).

Il y a bien d’autres handicapes et ce n’est pas une fin en soit que de travailler sur l’accessibilité du jdr à toutes les formes de handicapes. Malgré tout, je réfléchis sur telle ou telle situation, mais je n’ai pas eu l’occasion de faire de vrais tests…

Adaptes-tu du commerce ou fais-tu du sur mesure ?

Comme dit, en réalité, bien que rare, des aveugles jouaient déjà avant que je m’en mêle. Ils jouaient avec leur copain, donc à des jdr du commerce. Je n’ai jamais créé de jeu de rôles, et si j’ai parfois fait quelques adaptations, c’était pour ma convenance personnelle et sans lien avec la présence ou non d’un joueur aveugle autour de la table. Je joue globalement plutôt en « d20 systèmes » (au sens large) et que j’ai cherché à permettre à mes joueurs DV de lancer eux-même leur dé. J’ai pour cela utilisé des d6 et des d8 en relief, du commerce spécialisé DV, et j’ai confectionné le système de cartes avec résultats en braille dessus décrit sur le site enfant-aveugle. Ce système est extrêmement efficace, ne coûte à priori rien, mais nécessite que le DV maîtrise le braille (ce qui n’est pas systématique). Je me retrouve en réalité souvent en situation de faire découvrir le jeu de rôle, en même temps que je le fais jouer, à des personnes DV. J’utilise en séance découverte le jdr « Chroniques Oubliées Fantasy » qui est optimisé pour découvrir ou faire découvrir le jdr. Et avec mes amis rôlistes, on ne joue pratiquement plus qu’à ce jeu, parce que l’on en a marre des règles encyclopédiques qui – à nous – n’apportent pas plus de plaisir de jeu que des jdr comme  CO : à la fois simple mais complet. J’ai donc mis en ligne l’ensemble des règles de CO de façon très accessible pour que mes joueurs DV puissent les consulter à leur guise. Pour ce faire j’ai fait une simple page html (de plusieurs km de long) avec des liens internes et une hiérarchie de titre. C’est donc rudimentaire mais très efficace, car très compatible avec les synthèses vocales qu’utilisent les DV. Cependant, je n’ai pas remis à jour cette page de règles depuis la sortie de la compilation augmentée des règles de CO (le HS n°1 de Casus-Belli, sep 2014). Avant la démocratisation de l’informatique, il y avait déjà des solutions (coûteuses et fastidieuses) pour qu’un livre (telle qu’un livre de jdr) soit lu. J’avais aussi fourni la feuille de PJ vierge et les prétirés en format html et en format rtf, de sorte qu’ils pouvaient la remplir et la consulter à leur guise. Même si c’est possible et que des rôlistes DV ont forcément déjà dû le faire, confectionner et utiliser une feuille informatique pour un jdr aux règles plus détaillées que CO, ça doit être fastidieux. Dans tout les cas, pour changer régulièrement de jdr, il vaut mieux rester sur la solution de la feuille de PJ classique, relue au besoin par le joueur voisin.

Comment prépares tu tes scénarios ? Insistes-tu plus sur certains aspects ?

Je ne prépare pas mes scénarios différemment, si j’ai un joueur DV ou pas à la table. Je n’insiste pas sur certains aspects. Comme tout joueur, s’il n’a pas compris ceci ou cela, il est libre de le redemander. Je m’applique pour faire des descriptions orales claires, précises, rapides et complètes. Je me crois bon, mais l’expérience montre qu’ils me redemandent souvent quand même des précisions ou des confirmations sur ce que je viens de décrire. J’imagine que cela fait partie du jeu…

Encore bravo et un très bravo  pour tout ce que tu fais.