Un petit retour sur ce grand moment de lundi dans la petite sphère rôliste. Ce sont donc 403 792 euros qui ont été récoltés par Sans-Détour pour cette Version 7. Il s’est donc passé un mois plein de rebondissements et une soirée pleine de F5 pour regarder le compteur monter et atteindre le chiffre tant convoité.
Que de chemin parcouru. Quand la V7 est annoncée, il est vite évident qu’elle ne fait pas l’unanimité malgré une V6 épuisée et une refonte bien intéressante pour le nouveau-né de Chaosium. Il n’est nulle part annoncé que les Nancéiens passeront par le crowDfunding (le D est volontairement en majuscule: c’est la foule qui finance, pas le corbeau…) et quand celui-ci est annoncé, SD annonce aussi qu’elle pourrait s’en passer. Elle décide malgré tout de se mettre dans l’aventure Ulule. Bémol assez important: les magasins n’ont pas voix au chapitre et c’est un coup indéniable à l’aspect « Brick and Mortar » de notre communauté.
Le coup d’envoi est donné et le pistolet est encore fumant quand les 10 000 euros sont atteints, à savoir en 25 minutes. C’est alors le début d’une magnifique aventure. Soyons honnêtes, les premiers paliers étaient bien peu convaincants: le signet en tissu en est le meilleur exemple. Mais avec le succès de cette campagne triomphale et triomphante, SD a su s’adapter et offrir un vrai contenu, flattant les collectionneurs pour mieux toucher les vrais joueurs. Ainsi le Deck de folie est plus proche du gadget que de la vraie extension (les phobies sont le début de la fin des personnages et ouvrir le livre pour les exploiter ne coûte pas tant que cela) mais a été le tremplin vers les derniers scénarios.
C’est quand les dés ont été annoncés que la folie des collectionneurs s’est déclenchée. Le royaume de l’apparence était omnipotent mais cela a ainsi permis de monter encore plus haut. Les goodies sont bien à la mode (comme le le porte-mine ou les dés dont un dé malus, « Wow.. vertige absyssal ») mais les magnifiques cartes (Kingsport, enfin!) et scénarios sont une juste récompense.
Puis il y a eu l’incident Tortue. Et sans le vouloir, il a permis d’être un contributeur majeur à la réussite de l’opération. Pour vous épargner les 18 000 commentaires (+4000 lors la dernière soirée) voici ce qui a été écrit par un intervenant:
« Le mail que je viens de recevoir [de Ulule], avait deux annonces: cette nouvelle, ou bien aider à sauver les tortues marines
200 000 euros levés en quelques heures pour des cartes et un jeu de rôles, contre
5000 euros pour des tortues, animal peu !95% des contributeurs doivent être des hommes de + de 30 ans…..
Les gars, vous me faites honte!
Il y a des causes dans ce monde qui requièrent un 10 ème de l’argent que vous êtes prêt à dépenser pour des conneries, et qui sont bien plus importante que votre branlette pour ados prépubères.
J’ai 42 ans et j’ai passé une grande partie de ma vie à dessiner.
Quelques années en arrières nous étions des passionnés qui échangions, aujourd’hui vous êtes des anonymes en compétition….. Vous êtes + de 600 à claquer 150 euros alors que vous n’avez certainement jamais donnez 2 euros à un pauvre gars dans la rue pour qu’il se paye un cafè…
Peut être avez vous aussi oublié que Lovecraft que vous chérissez tant, est mort dans la misère et sans un sou.
Happy Ululé for you »
On reconnaîtra que c’est un message qui n’aurait pas été dénué de fond si l’aspect quelque peu réactionnaire et moralisateur n’avait pas noyé le propos. En effet, il s’applique à TOUTES les passions, interdisant de vouloir profiter de ce que l’on aime par la culpabilisation et surtout il fait bien fi de ce que font les donateurs au jour le jour. Mais cela a permis aussi de créer une nouvelle contrepartie du talentueux Loïc Muzy dans une judicieuse réaction de SD.
Chose intéressante, les réponses à ce message de reproches ont toutes été vives mais aucune insulte n’a été proférée et celà a été à l’image des 18000 commentaires. Cela a déjà été mentionné la semaine dernière mais une sympathique communauté s’est créée l’espace de ce CF, respectueuse de chacun malgré les avis divergents. Cela faisait plaisir d’avoir ce côté « gens du monde » sur un forum.
Une des raisons à cela vient aussi de la moyenne d’âge relativement élevée des contributeurs. Au fil des conversations, il était évident que tous ou presque venaient de la glorieuse décennie 1990. « Mireille Dumas », « JM Abgrall », « Jeux Descartes » étaient autant de mots trahissant un certain âge, noms surgis d’un passé minitelique. La communauté du Jdr ne rajeunit pas, c’est un fait. Le jeu de rôle n’est pas mort comme on entend souvent ce cliché (et ne mourra jamais après 4 décennies) mais il faut reconnaître que c’est la vieille garde qui a financé cette version: l’édition prestige à 159 euros n’étant pas à la portée de toutes les bourses, surtout étudiantes. Quand un joueur revient à ses amours ludiques passées, il revient toujours vers ce qu’il connaît et la preuve en a été assez éclatante (l’âge explique aussi peut-être le peu de fautes et la courtoisie. Et que personne n’ait utilisé l’abominable terme »Meujeuh »).
Mais le succès n’a pas été non plus uniquement le fait des grognards. SD a su écouter les demandes, inverser des paliers et a tactiquement mis les goodies aux bons endroits. Si cela a provoqué certains commentaires dépités, il ne faut pas perdre de vue que le collectionneur est celui qui va faire monter les chiffres. Responsable aussi d’une bulle de spéculation (comme ceux qui ont pris DEUX éditions Ammirati à la couverture hommage à Monsieur Reginald Ledoux), il permet néanmoins d’assurer une vitalité certaine à l’entreprise. La seule incongruité aura été le jeu Cthulhu Wars à dix euros moins cher que le prix de vente (mais avec 10 euros de frais de port) qui s’est retrouvé dans le lot (à un moment où cela sentait le balançons-tout-ce-que-nous-avons-à-bord de la part de SD) et qui avait été « généreusement » rendu accessible aux boutiques (sense the tone..).
Une des clés du succès a aussi été la communication de Sans Détour et l’aspect très pro des présentations. Une rédaction impeccable et claire aux graphismes soignés ont tout pour mettre en confiance (et eux, écrivent crowdfunding correctement). Cela peut sembler banal mais dans le CF le texte de présentation est la vitrine. Quand l’on voit à quel point d’autres jdr sur Ulule écrivent comme ils parlent, publient leurs news sans la moindre relecture, on n’est guère tenté de libérer nos deniers, peu importe la qualité du jeu.
Et tout s’est donc fini lundi soir. Bien peu auraient misé sur tous les paliers. En moins de 40 heures plus de 75000 euros ont permis de franchir le cap dans une frénésie telle que les claviers ont bien souffert. Les 4000 commentaires en 5 heures allaient tellement vite sur la fin que les pages se succédaient, laissant votre prose uniquement visible quelques secondes. Il y avait une sorte d’excitation bien étrange, quand tous étaient là à invoquer le dieu Katsanmil, commentant à chaque évolution. La tension était palpable alors que les minutes s’égrenaient et que la fameuse courbe en U de fin de projet devenait une courbe en I.
Et alors que les derniers euros apparaissaient (et que certains ont laissé plus de 500 euros dans l’affaire dans une folle détermination), chacun vit apparaître ceci:
Mystérieux sentiment que celui d’une explosion de joie sur non pas un événement sportif ou fictionnel mais sur le fait que nous allions avoir un jeu avec plein de bonus, alors que la campagne était déjà un succès colossal. On a beau y réfléchir, le sentiment est bien là même s’il est dur à comprendre. O Tempora O Mores.
Présente aussi la sensation un peu narcissique d’avoir contribué à ce projet et d’avoir poussé avec tout le monde. De nombreux contributeurs étaient des novices et ont contribué à cette effervescence adolescente bien amusante, à y réfléchir tête reposée. On s’achète les jouets de son âge.
Que faire donc maintenant? Il faut attendre. Et c’est là ce qui va être le plus dur à gérer pour SD. Après avoir promis tant de choses et « l’été » comme date d’envoi, c’est toute la gestion de l’après qui fera que oui ou non ce CF est un formidable succès. Faisons confiance aux hordes de fans de dés spéciaux ou de porte-mines (« 0.5 ou 0.7 ? » a demandé un contributeur au sens des priorités bien personnel) pour changer de ton si les choses n’allaient pas assez vite.
Ensuite, que fera SD pour l’avenir? Comme il a été signalé:
A quoi va servir la somme collectée ?
Sur les 403 837 € collectés, une grande partie va servir à financer ce projet : traducteurs, illustrateurs, maquettiste, relecteurs, logistique, transports et fournisseurs (imprimeurs et autres fabricants).
La somme obtenue ayant dépassé nos attentes, nous avons le plaisir de vous annoncer que grâce à vous, de nouveaux projets pourront être lancés !
Cette dernière phrase devrait exclure logiquement un prochain CF. La succès de Cthulhu est le pendant de Conan pour le jeu de plateau éponyme: on savait que cela marcherait mais on ne pouvait deviner un tel engouement. A part les Contrées du Rêves et les Fungi de Yuggoth (Day of the Beast), il ne reste plus grand chose de majeur à traduire pour cette V7. Avec une gamme 1890 « décevante » (doux euphémisme), c’est vers de la production locale qu’il va donc falloir se tourner. Que le CF soit utilisé pour des suppléments catalogues sans âme comme le Manuel des Armes, soit. Mais pour des grandes sorties au succès évident, nous espérons bien que les boutiques et tous les acteurs de notre passion seront aussi de la fête.
Il n’en reste pas moins que cela a été un grand moment de vibrer ainsi, que Sans Détour a su véritablement créer un événement et le gérer et a donné à tous la possibilité de s’exprimer. Cela a dévoilé un autre visage de la communauté rôliste et tout simplement a permis de passer ces grands moments de convivialité non pas EN jeu de rôle mais AUTOUR du jeu de rôle, notre si belle passion.