“Je sais et je sens que faire du bien est le plus vrai bonheur que le cœur humain puisse goûter. » – Jean-Jacques Rousseau
Avec Cœurs Vaillants : le Bouquin de Base, le Grümph montre que la magie du jeu de rôle réside moins dans l’invention que dans l’art de l’assemblage. En combinant des mécaniques bien rôdées à une vision moderne et bienveillante, le plus barbu de nos game-designers nous offre ici une aventure accessible et immersive.
Le Grümph, artisan polymorphe du jeu de rôle
En cette période de fêtes, on entend souvent parler du Grinch, cette créature verte et revêche qui vole les cadeaux. Mais dans l’univers du jeu de rôle français, une autre figure tout aussi mythique fait parler d’elle, en ce moment : le Grümph. Un peu moins verte, mais tout aussi marquante, il ne menace pas Noël, mais célèbre le plaisir de jouer avec Cœurs Vaillants, son dernier cadeau pour les rôlistes.
Avant de nous lancer plus en détails dans la présentation du Bouquin de base de Coeurs Vaillants, revenons un peu sur le parcours prolifique du Grümph et à ce qui fait un peu sa patte dans le monde du jeu de rôle.
Le Grümph, c’est une créature polymorphe : tour à tour illustrateur, auteur, maquettiste, traducteur, éditeur -il est membre fondateur de la maison John Doe, pour rappel, mais aussi de la collection Chibi, il incarne une rare polyvalence dans le milieu ludique. Plus qu’un simple game designer, je dirais qu’il se dégage de son travail un esprit d’artisan, avec un grand soin apporté à chaque détail, qu’il s’agisse des mécaniques de ses jeux ou de ses illustrations.
Cette polyvalence ne se limite pas à un savoir-faire technique puisque Le Grümph se distingue également par une philosophie de jeu particulièrement bienveillante, portée par une volonté d’accessibilité et d’innovation.
Une œuvre prolifique, une réflexion profonde
Que l’on évoque Oltréé ! et son système d’exploration collaboratif ou Les Mille Marches et son multivers poétique, chaque projet du Grümph témoigne d’une réflexion ludique assez poussée, soutenu par une solide communauté. Depuis que je suis rôliste, pas une seule association ou convention où je suis passée ne manquait de faire jouer un jeu du Grümph – c’est dire l’impact de son œuvre dans notre hobby.
Et comment ne pas parler de sa participation (parmi d’autres super créateurs) à cet énorme banger qu’est Donjons & Chatons, un jeu déjà promis à devenir un véritable classique du jeu de rôle francophone ? Sérieusement, avez-vous vu comment il se maintient en tête des ventes sur Philibert semaine après semaine, malgré des mastodontes comme DD5, L’Anneau Unique et bien d’autres titres phares ? Et tout ça, sans pression ? C’est bien un jeu de chats, ça.
Le Grümph, fidèle à sa philosophie, s’attache à concevoir des outils qui fluidifient l’expérience de jeu. Que ce soit pour épauler des meneurs souvent débordés ou pour accompagner des joueurs débutants, ses règles sont toujours claires, épurées et accessibles et c’est ce que j’aime dans son travail. Ses créations incarnent une vision moderne du jeu de rôle, où la narration prime sur les lourdeurs techniques, et où les mécaniques sont à la fois intuitives et d’une grande cohérence entre la proposition ludique et les règles.
Un système narratif et bienveillant
Dans cette nouvelle version de Cœurs Vaillants, on incarne des aventuriers bienveillants et héroïques, des cœurs radieux qui se lèvent pour défendre les opprimés, pour restaurer la justice et pour affronter des menaces grandioses.
Loin des personnages ambigus ou moralement gris souvent mis en avant dans d’autres jeux, ici, on joue vraiment des individus animés par des idéaux nobles, qui sont porteurs d’un souffle d’espoir. Et c’est bien là toute l’essence du jeu : offrir une aventure épique teintée de bienfaisance. Une proposition ludique qui fait chaud au cœur et qui semble taillée sur mesure en ces temps où l’actualité nous pèse, entre anxiété et morosité et Mariah Carey.
De la tradition à l’innovation ?
Le Bouquin de Base de Cœurs Vaillants ne propose pas un cadre de jeu rigide, mais un système modulable conçu comme une véritable boîte à outils. Ce socle générique s’adapte à une variété d’univers et de thématiques, et sera bientôt enrichi par des livres-univers comme Nami-e. Avec son esthétique médiévale asiatique et ses mécaniques spécifiques, ce supplément promet d’élargir encore les horizons narratifs et ludiques de Coeurs Vaillants (D’ailleurs, je l’ai déjà acheté : si vous souhaitez qu’on en parle dans un prochain article ou une vidéo, faites-le savoir !)
Visuellement, le Bouquin de Base se distingue par une couverture souple et élégante, comptant environ 260 pages. La couverture rouge est illustrée par une scène pleine d’action, qui nous plonge immédiatement dans l’univers de Cœurs Vaillants. Créatures tentaculaires et démons y affrontent des héros déterminés, armes brandies et regards pleins de défi, le tout dans un style épuré et raffiné – l’intérieur du livre propose d’ailleurs des illustrations de la même qualité, en noir et blanc.
Ce choix esthétique (quel beau rouge!) rend (je crois) hommage à la mythique boîte rouge de Donjons & Dragons, tout en affirmant une identité propre. Loin de se contenter de rappeler ses illustres inspirations, Cœurs Vaillants se démarque par des mécaniques soigneusement pensées et peaufinées au fil de centaines d’heures de playtests rigoureux.
Le Bouquin de Base est une synthèse de sagesse ludique, portée par l’expérience et la vision du Grümph mais aussi de ses joueurs. Quand j’écoute Le Grümph, ce qui me touche et me fascine, c’est son humilité et son insistance à préciser que le fruit de son travail, c’est aussi le fruit de collaboration avec des professionnels, certes mais aussi toutes les « petites mains invisibles » qui ont lancé des dés avec lui lors des playtests.
Au coeur de la refonte : narration & accessibilité
Avec Le Bouquin de base de Coeurs Vaillants, ce que le Grümph propose, c’est une refonte aboutie, le fruit de quatre ans et demi de tests intensifs et d’une pratique assidue – on parle de trois parties par semaine, en moyenne ! si j’ai bien suivi – de la première version de Cœurs Vaillants.
Cœurs Vaillants repose sur un système de jeu simple mais robuste, mettant en avant la narration tout en s’appuyant sur des mécaniques accessibles et bien pensées. Les personnages sont définis par des caractéristiques fondamentales – Force, Dextérité, Esprit, Charisme – qui influencent leurs actions (jusque là, rien de nouveau sous la Lune). À cela s’ajoutent :
- leur métier : qu’il s’agisse de guerrier, éclaireur, érudit, prêtre, artisan ou barde, chaque métier apporte des capacités uniques et orientées vers une façon spécifique d’interagir avec le monde. Par exemple, un éclaireur excelle dans la furtivité et les embuscades, tandis qu’un prêtre peut soigner ou inspirer les autres.
- leur origine : citadin, montagnard, villageois, nomade, noble ou sauvageon, l’origine reflète à la fois leur milieu de vie et leurs compétences. Par exemple, un montagnard saura survivre dans des conditions hostiles, tandis qu’un citadin sera à l’aise dans des intrigues sociales.
Ces éléments, combinés, offrent une personnalisation riche et intuitive, qui permet de créer des héros avec des profils très particuliers, qu’on va pouvoir affiner réellement.
Le jeu reste fidèle à son ADN, mais les nombreux retours des joueurs ont permis d’affiner les mécaniques, d’alléger les calculs et de rendre les capacités des personnages plus accessibles et orientées vers la narration.
Les prouesses des personnages, en particulier, ont été repensées pour intégrer des effets plus narratifs et moins techniques, permettant aux joueurs d’influencer directement le cours de l’histoire tout en renforçant l’immersion. Quelques exemples présents dans le Bouquin de Base :
- coup d’éclat : réaliser une action spectaculaire dans un moment critique, comme désarmer un ennemi ou s’échapper d’une situation désespérée.
- savoir ancien : se remémorer une légende, un mythe ou un élément de folklore local qui pourrait débloquer une situation.
- discours galvanisant : inspirer ses compagnons dans l’adversité, redonnant espoir à l’équipe alors que tout semble perdu.
Poings d’aventure !
Les points d’aventure (on va dire PA pour la suite, hein), qui permettent l’utilisation de ces prouesses, sont tout aussi intéressants à gérer en termes de ressources que les points de vie. Chaque personnage dispose d’un pool de PA, renouvelé à chaque session et dont la quantité varie en fonction de son niveau, ce qui reflète ses ressources héroïques et sa capacité à accomplir des actions marquantes. Chaque activation de prouesse coûte un certain nombre de PA, ce qui rend leur gestion stratégique essentielle.
Mais ce n’est pas tout : les PA permettent également de déclencher des événements narratifs ou encore d’améliorer nos jets. On peut en regagner en accomplissant “des actions héroïques ou [en se montrant] fidèles à l’esprit de bienveillance qui anime leurs personnages.” Ce qui fait que le jeu récompense mécaniquement la bonté des aventuriers. Si on fait de la merde, on regagne plus difficilement des PA, il faudra attendre la prochaine session, histoire de pas trop donner du sucre aux mauvais garnement qu’il pourrait y avoir autour de la table.
Cœurs Vaillants utilise une panoplie de dés mais tourne surtout autour du divin D20, qui est le pilier des résolutions d’actions. La mécanique est claire et intuitive : les joueurs doivent atteindre ou dépasser un seuil de difficulté fixé par le MJ. Ce seuil, influencé par les caractéristiques du personnage, son métier, son origine et les circonstances, s’inscrit dans un système à la fois souple et immersif
Le système distingue plusieurs types de jets, adaptés aux diverses situations rencontrées en jeu :
- jets de caractéristique : utilisés pour tester directement une aptitude du personnage, qu’il s’agisse de sa Force, sa Dextérité, son Esprit ou son Charisme. Par exemple, soulever un objet lourd relèvera de la Force, tandis que persuader un interlocuteur relèvera du Charisme.
- jets de sauvegarde : ces jets permettent de résister à une menace extérieure ou de se protéger d’une attaque, comme esquiver un piège, résister à un poison, ou ne pas succomber à une magie oppressante.
- jets de mouvement : Conçus pour les actions nécessitant rapidité et précision, comme escalader une paroi glissante ou bondir hors de portée d’un danger imminent.
- jets de combat : Réservés aux affrontements, qu’ils soient physiques ou magiques. Ces jets opposent souvent deux personnages ou un personnage et un PNJ, et prennent en compte des éléments comme l’arme utilisée, la stratégie adoptée, ou les compétences spécifiques.
Une progression réfléchie au service du récit
La mécanique des prouesses renforce l’aspect narratif du jeu en invitant les joueurs à enrichir activement l’histoire qu’ils créent ensemble via la description de ces actions spectaculaires. On voit bien que dans Cœurs Vaillants, le cœur et l’esprit des personnages comptent autant que leurs compétences techniques.
Chaque joueur est ainsi encouragé à détailler ses actions et leurs conséquences sur l’univers ou le scénario, dans une approche qui valorise chaque voix autour de la table. Le pouvoir de narration est partagé, renforçant une dynamique de collaboration et d’immersion qui soulage au passage la charge mentale du MJ.
Les joueurs ont également la possibilité de faire évoluer leurs personnages en leur permettant d’acquérir plusieurs cordes à leur arc au fil des parties. Un aventurier débute avec un métier principal – guerrier, barde, prêtre, artisan, érudit ou éclaireur – mais il peut, tout à fait, en avançant dans son parcours, en adopter un second. Cette flexibilité offre une profondeur supplémentaire à la construction des personnages, permettant de créer des profils polyvalents.
Le niveau maximum des aventuriers est fixé à 7, un choix volontaire qui reflète une philosophie de progression mesurée et significative. Contrairement à de nombreux jdr où la montée en niveau est rapide et linéaire, où les joueurs courent après les XP comme de la coke, ce cap restreint met l’accent sur une progression plutôt lente mais où chaque montée en niveau est significative et impacte directement la narration. Le Grümph souligne d’ailleurs, dans une interview accordée à Vieux Geeks, que même après une campagne d’une soixantaine de sessions, atteindre ce niveau reste rare – une preuve de la profondeur et du rythme réfléchi de ce jeu.
En vérité, les personnages joueurs sont puissants dès le départ, il faut le savoir : ils ont un côté badass comparé au commun des mortels, mais leur véritable force -et même intérêt, réside dans leurs (inter)actions et leurs idéaux. Le propos, c’est de jouer des personnages dont la boussole morale demeure bienveillante, envers et contre tout, orientée vers la justice et le bien commun. Comment relever les défis d’un monde qui teste les coeurs autant que les compétences ?
La mort héroïque : un levier narratif puissant
Dans Cœurs Vaillants, la mort n’est pas une finalité brutale et froide, elle n’est pas non plus gratuite, ce n’est pas un simple élément mécanique : elle est un acte lourd de sens, qui va être empreint de noblesse et de sacrifice. Le jeu invite à réfléchir sur ce que signifie être un véritable héros, en plaçant l’idée de bienfaisance et de dévouement au cœur des décisions des personnages.
Contrairement à d’autres systèmes où les personnages peuvent mourir de manière aléatoire, presque triviale, ici, la mort est intégrée à la narration de façon plus significative. Lorsqu’un personnage tombe au combat ou se sacrifie pour une cause plus grande, il ne disparaît pas simplement des fiches de personnage : il marque l’histoire du monde et des autres aventuriers.
Le Bouquin de base encourage même les joueurs à considérer ces moments comme des opportunités de narration puissantes, où le sacrifice devient un acte ultime d’héroïsme. Il est clairement mentionné dans Coeurs Vaillants qu’un aventurier ne peut mourir que si la joueuse le décide (on peut en quelque sorte jouer en « mode cheatcodes » si c’est ce que désire la joueuse). Cela peut se traduire par un guerrier qui reste seul face à une horde d’ennemis pour permettre à ses compagnons de s’échapper, ou un prêtre qui utilise ses dernières forces pour sauver une communauté.
La mécanique de la « mort héroïque » est explicitement décrite comme un levier narratif puissant dans le jeu. Lorsqu’un personnage succombe, ce n’est pas simplement un moment tragique ; c’est l’occasion de renforcer la cohésion du groupe et d’inspirer les autres à poursuivre leurs idéaux. Par exemple, le manuel précise :
« La mort d’un personnage est toujours un moment de grande intensité, mais elle n’est jamais une fin en soi. Le sacrifice d’un héros peut devenir un symbole, une source d’inspiration pour ses compagnons et pour le monde qu’il laisse derrière lui. »
Je trouve que ce choix de mécanique sert réellement l’esthétique épique du jeu mais aussi la cohésion de groupe et de récit, c’est un élément qui ne sort pas du chapeau du Grümph de ce que j’ai compris lors de son entretien avec Vieux Geeks mais qui pour le coup, s’articule particulièrement bien avec la proposition du jeu.
Un système narratif et bienveillant
Si l’on incarne des personnages bienveillants, il faut donc aussi souligner que le game-design du jeu reflète cette philosophie en offrant une approche tout aussi généreuse. Plutôt que de laisser un aventurier, qui aura passé sa vie à défendre la veuve et l’orphelin, mourir de façon triviale ou frustrante, Cœurs Vaillants propose de transformer cet événement en un moment de narration fort et chargé d’émotion. La mort d’un personnage devient ainsi une opportunité de tisser une histoire marquante, un véritable hommage à son parcours héroïque, et non un simple coup du sort mécanique. C’est une super mise en abyme, et moi, les mise en abyme, j’aime ça.
Cœurs Vaillants ne se contente pas d’être un jeu narratif et collaboratif : il met un point d’honneur à simplifier et enrichir l’expérience des maîtresses de jeu.
Assumer ce rôle peut parfois paraître intimidant, entre la gestion des mécaniques, la création d’un univers vivant et l’improvisation face aux choix des joueurs. Le Grümph est bien conscient de ces défis-là, c’est pourquoi Cœurs Vaillants propose une gamme d’outils et de conseils pour épauler les MJ à chaque étape de leurs parties. A noter également que sur le site du Grümph, sont disponibles des aides de jeux telles que des cartes de métiers, d’origines et de péripéties afin de favoriser la prise en main.
Conclusion : soyez gentils, pas méchants (c’est pas gentil d’être méchant)
Avec Cœurs Vaillants : le Bouquin de Base, Le Grümph nous propose une vision du jeu de rôle où bienveillance et héroïsme prennent le pas sur la complexité technique ou le cynisme narratif. Ce n’est pas seulement un jeu, mais une invitation à raconter des histoires qui touchent, inspirent et fédèrent autour de la table. Bref, des choses qui mettent un peu d’amour dans nos coeurs de petits rôlistes !
Entre ses mécaniques accessibles (je n’ai évidemment pas parlé de tout le système de jeu, c’est pas le but de cet article), son univers malléable et son approche centrée sur l’émotion et l’engagement collaboratif, Cœurs Vaillants s’impose comme une œuvre ludique au ton rafraîchissant, capable de rassembler aussi bien les novices que les vétérans (qu’ils soient simples joueurs ou MJ). Bref, c’est un véritable souffle d’air frais, de bonté, après l’année de merde qu’on vient de passer. Alors haut les cœurs, parce qu’être gentils dans un monde brutes, y’a rien de plus badass !